Edith Royer (1841-1924) : "le Sacré-Coeur ne peut sauver les hommes sans la pénitence"

Présentation : 

Née Edith Challan Belval en 1841, issue de la haute bourgeoisie bourguignonne, la fondatrice de l'Association de Prière et de Pénitence Edith Royer eut ses premières expériences mystiques du Sacré-Coeur à l'âge de 6 ans. Elle voulait se consacrer à la vie religieuse mais fut persuadée par sa famille d'épouser Charles Royer (mort en 1883) en 1860.

Le 21 et 22 juillet 1870, Jésus apparaît à Edith et lui révèle les malheurs qui attendent la France et l'Eglise. La même année, la France subit la défaite militaire face aux Prussiens et les Piémontais entrent à Rome, supprimant ainsi les Etats Pontificaux. En 1871, lors d'une série des visions, elle voit une longue chaîne d'anneaux représentant une association voulue par le Christ, consacrée à son Coeur. Le 10 juin 1872, dans la chapelle de la Visitation à Paray-le-Monial, Edith a une apparition de Ste Marguerite-Marie Alacoque qui lui explique que l'objectif de cette assocation, complément du message de Paray au XVIIe siècle, serait de ramener les croyants à la pénitence, car “le Sacré-Cœur ne peut sauver les hommes sans la pénitence. L’amour envers le Cœur de Jésus ne doit pas se témoigner uniquement par la confiance en sa miséricorde, par les prières, les communions et les pèlerinages... A toutes ces manifestations, il faut joindre la pratique de la pénitence...” L'Association est fondée en 1872, le but étant de permettre aux personnes ne pouvant pas participer physiquement à l'adoration à la Basilique du Sacré-Coeur de prier en union avec Montmartre.

Le 22 juin 1873 (200 ans après les apparitions à Paray), solennité du Sacré-Coeur, le Sauveur apparaît à Edith et montre son Coeur brûlant. Une nouvelle image du Sacré-Coeur est montrée à la voyante, avec le Christ debout, les bras étendus "pour nous montrer son amour, son ardent désir de nous embrasser, de nous réunir tous dans son Coeur ; mais aussi pour nous faire voir qu'Il continue à s'offrir comme victime pour nos péchés, pour que nous nous immolions avec Lui, l'aidions à expier, à sauver, par nos prières et notre pénitence." C'est par ailleurs cette image qui inspirera le fresque au-dessus de l'autel de la Basilique du Sacré-Coeur à Montmartre. [1]

Les 26 et 27 juin, Edith reçoit des détails sur les pratiques demandées à ceux qui rejoindront l'Association de Prière et de Pénitence. Le 2 juillet, cette demande de Jésus est appuyée par la Vierge ; Edith dit: "Entre le Coeur de Marie et le Coeur de Jésus régnait une union si étroite que les deux Coeurs n'en formaient qu'un seul."

Les visions du Christ, les bras étendus, reprennent en 1875 (vision qui se répétera en 1885). Edith écrit :

“La première fois que je Le vis, en juillet 1873, je n’avais presque pas osé Le regarder, mais Il m’apparut le 25 et le 26 mai 1875, de la même manière, plus éclatant encore. Je fus attirée à Le regarder, comme malgré moi, et je vis qu’Il pleurait, que des larmes tombaient de ses yeux en me parlant de Paris, comme peut-être lorsqu’Il pleura sur Jérusalem. Au front, les marques de la couronne d’épines étaient imprimées en rouge, mais le sang ne coulait pas... Il tenait ses regards fixés sur le monde avec une ineffable expression de tristesse, d’amour, de désir. Les expressions me manquent, je ne puis y penser sans que mon cœur se fonde. Oh ! si on pouvait Le voir, comme on accourrait à Lui.”

Le 5 juin 1875, Edith voit, par le mode "le plus élevé et plus secret de vision intellectuelle", la vision de Jésus rayonnant de Gloire". Le Ciel interdit d'ailleurs l'interprétation des révélations en termes politiques ainsi la diffusion du nom de la voyante et de son confesseur (l'Abbé Lalourcey de St Rémy (Côte d'Or)). Cette volonté de discrétion sera scrupuleusement respectée : Edith Royer suivra de près le développement de l'Association/Archiconfrérie de prière et de pénitence pendant toute sa vie en étroite collaboration avec Montmartre, mais il semble que ce n'est que quelques années après sa mort en 1924 que son nom sera cité dans le bulletin de la Basilique. [2]

Extraits :

Dans les visions d'Edith concernant la France, les symboles jouent un rôle majeur : 

“En 1870, quelques semaines avant nos désastres, dans une action de grâces, dans l’église de Saint Rémy (le 22 juillet) j’ai, par des voix intérieures et surtout des vues symboliques très frappantes, connu les malheurs qui menaçaient la France, la série des défaites, des investissements, des sièges, la captivité de l’empereur.” [3]

Le 22 mai 1914, elle a une vision prophétique qui semble non seulement préfigurer les tranchées de la Première Guerre Mondiale, mais aussi des événements qui auront lieu bien plus tard :

La guerre est proche. J’ai vu dans mon oraison le sol de la France labouré de sillons profonds, remplis de sang, le ciel plein de combats, nos campagnes ravagées, nos églises détruites et nos cathédrales elles-mêmes dévastées. La paix qui suivra cette guerre sera une fausse paix. La lutte continuera sous des formes diplomatiques, sociales économiques, financières. Le monde croulera dans l’impiété, l’impureté, le complet oubli de Dieu et courra ainsi à son châtiment. Les Français iront jusqu’aux confins du désespoir. Ils ne reprendront courage que contre eux-mêmes. Une à une les solutions proposées pour porter remède à leurs maux échoueront.

C’est seulement quand tous les recours aux moyens humains seront épuisés et que tout semblera perdu que le Sacré-Cœur interviendra. Alors apparaîtra l’élu de Dieu et la France ne pourra nier qu’elle devra au Sacré-Cœur seul son salut.

(Juin 1914) : “La guerre éclatera cet été. Paris sera en danger. Il ne faudra pas y rester.”

Ses visions concernent également l'avenir de l'Eglise, sa purification et renouvellement : 

"[...] en même temps que la délivrance de la France, j’ai vu en 1870, d’abord des années de persécution pour la religion, la sainte Église; un autel dépouillé de tous ses ornements, mais en dessous il était de pierre sur laquelle les glaives s’émoussaient inutilement... Puis une frappante image: une très haute estrade s’élargissant en descendant, toute composée de degrés. Je voyais le Saint-Père vêtu de blanc au sommet, puis, de chaque côté des degrés, les prêtres en robe noire; au milieu, entouré de rayons, l’Agneau immolé qui me figurait le saint Sacrifice... Les religieux, puis les prêtres, furent presque tous enlevés, une sorte d’inondation couvrit les degrés. Je tremblais pour le divin Agneau. Puis tout se répara, les prêtres, les religieux reprirent leur place et une lumière éblouissante entoura l’Agneau et resplendit tellement jusqu’en bas que la foule indifférente s’arrêta..." (lettre au chanoine Crépin du 30 novembre 1917)

Jésus veut sauver l'Eglise et la France d'une "incendie" qui les menace, la pénitence étant d'une importance capitale :

(Jésus) : “Il est vrai, j’ai bien des amis fidèles qui me consolent. Sans eux la France serait perdue, mais combien d’âmes tièdes, distraites par les vanités, les sollicitudes mondaines, qui ne me donnent que quelques actes extérieurs sans suite... Fais savoir à mes amis... qu’actuellement mon plus grand désir, le vœu le plus pressant de mon cœur, c’est de sauver l’Église et la France... Je suis comme un père de famille dont la maison est en feu et qui voit ses enfants, au lieu de courir, de concentrer tous leurs efforts à éteindre l’incendie, venir seulement de temps en temps jeter un peu d’eau qui ne fait qu’arrêter faiblement les progrès du feu, sans l’éteindre.” (1875)

(Edith) : "Si le Sacré-Coeur appelle d'abord la France à la pénitence, c'est, comme il a appelé Madeleine, parce que la France a beaucoup à expier, et doit en retour beaucoup aimer! (Chose que je n'avais point remarquée, c'est le 22 juillet, jour de Sainte Madeleine, que j'ai eu les premières lumières pour l'Association et les malheurs de la France.) A Montmartre, en 1877, j'ai cru [...] voir le Sacré-Coeur se préparant là un trône éclatant de lumière, de gloire, d'où son amour, sa miséricorde, en rayons de feu, embrasait le monde entier..." (lettre à Mgr Lecot, évêque de Dijon, le 6 août 1887)

“Notre Seigneur ne m’a pas seulement montré ses desseins de justice et de miséricorde pour la France; Il m’a découvert aussi des dangers, des persécutions pour l’Église, et m’a montré qu’Il voulait, par cette Association de pénitence, déjouer les machinations des impies, préparer une sorte de triomphe pour l’Église, le Souverain Pontife, et une grande extension de la foi chez les peuples infidèles, hérétiques et schismatiques... Les desseins du Sacré-Cœur, dans cet appel, sont pour le monde entier. C’est qu’Il veut, par cette croisade de pénitence, non seulement sauver la France, la ramener dans la voie de la justice chrétienne, mais faire triompher l’Église, étendre la foi aux peuples infidèles, hérétiques, schismatiques. J'ai vu cela, de même que les malheurs de la France, par des symboles dont l'intelligence m'a été donnée plus ou moins et que j'ai écrits. Il faudrait faire un volume pour le dire en détail." (lettre à Mgr Lecot, 26 août 1887)

(Jésus) : “ceux qui n’ont pas la liberté, la possibilité de faire des pénitences positives comme le jeûne ou autres pénitences analogues, peuvent toujours aimer la pénitence, en reconnaître la nécessité, l’efficacité, et suppléer à ce qu’elles ne peuvent faire, par quelques renoncements au luxe et à la mollesse, quelques retranchements des choses superflues, comme, par exemple, la privation de quelques friandises aux repas, le renoncement à quelques paroles ou regards de curiosité, à quelque vanité dans l’habillement ou l’ameublement.” (1876)

La victoire de Dieu est assurée, et pas uniquement au niveau de la vie mystique des fidèles : le Christ régnera :

(Jésus) : "Même avec un petit nombre, J'entraînerai les faibles et les indécis et je remportera la Victoire... Car voici l'heure où je régnerai malgré Satan. Le monde entier verra que Je ne suis pas seulement l'Epoux mystique des âmes pures et ferventes, leur consolateur, leur confident, mais que Je suis aussi le Dieu, Roi de l'Eglise et du monde et que la victoire ne tient pas à la force des armes, ni au nombre, mais à Ma Volonté." [4] 

Position de l'Eglise : 

En 1879, suite à une enquête diocésaine, Mgr François Rivet, évêque de Dijon, juge que les expériences de Madame Royer sont d'origine surnaturelle. Il institue la confrérie de pénitence en union avec les souffrances du Coeur de Jésus, rattachée initalement par l'Archêveque de Paris, Mgr Guibert, à l'Archiconfrérie du Voeu National à l'origine de la construction de la Basilique à Montmartre. En 1894 l'assocation s'en détache, Le Pape Léon XIII l'érigeant en Archiconfrérie de prière et de pénitence en vue d'une vocation universelle. Pie X s’y inscrit lui-même le 10 mars 1914. L’Archiconfrérie connaît un grand développement international, notamment sous l'impulsion du P. Marie-Clément Staub, propagateur de l'Archiconfrérie en France qui s'établit aux Etats-Unis en 1909, ainsi que du Cardinal Bégin au Québec. En 1932 on estime qu’elle compte plus de 1 500 000 membres. [5] Appelée actuellement "Fraternité de Prière de de Pénitence", elle se trouve sous la direction du recteur de la basilique du Sacré-Coeur à Montmartre.

NOTES : 

[1] Dès 1883, une statue du Sacré-Coeur aux bras étendus avait été présenté au Pape Léon XIII, qui la mit sur son bureau. Voir Marcel Denis, scj, M. "Madame Edith Royer et le P. Dehon (I)", Dehoniana 1977/1, 48-60, disponible en ligne à http://www.dehonianadocs.org/pdf/DEH1977-05-FR.pdf

[2] Jacques Benoist, Le Sacré-Coeur des femmes : de 1870 à 1960 (Editions de l'Atelier/Editions Ouvrières, 2000), p. 1393.

[3] Il est intéressant de constater qu'aux débats par rapport à la restauration de la monarchie qui ont suivi la chute de Napoléon III et la Commune, Edith Royer semble avoir pris une position plus conciliatrice que certains "intransigeants" légitimistes. Selon Jacques Benoist, ses textes inédits révèlent qu'elle voulait demander au Comte de Chambord d'accepter le drapeau tricolore mais que ses demandes ne furent pas transmises (le refus du Comte contribua à l'échec des négotiations avec l'Assemblée Nationale, pourtant dominée par les monarchistes). Ibid., p. 1393.

[4] Cité dans le Bulletin des Volontaires du Sacré-Coeur, juillet 1946, p. 15. Voir Albert Marty, Le monde de demain vu par les PROPHETES (Paris : Nouvelles Editions Latines, 1973, p. 105).*

[5] Voir Georges Viance, Montmartre (Paris: Ernest Flammarion, collection Les Pèlerinages, 1932) p. 139-141.

Plus d'informations : http://nova.evangelisation.free.fr/leblanc_edith_royer.htm

http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=781