La venue de l'Antichrist

Présentation

L'interprétation des très nombreuses prophéties sur l'Antichrist est un exercice très délicat, principalement parce que le terme est utilisé à la fois dans un sens général, collectif (par exemple, dans des expressions telles que "règne" ou "empire" de l'Antichrist), mais aussi dans un sens individuel pour désigner une personne. Cette ambiguïté est par ailleurs déjà présente dans le Nouveau Testament: dans son premier l'épître St Jean affirme que l'esprit d'Antichrist est déjà dans le monde (I Jean 4:3) et qu'il y a "plusieurs" antichrists (I Jean 2:18), mais en même temps il semble bien qu'un Antichrist viendra qu'on pourrait identifier comme étant le "Fils de Perdition", "homme de péché" où "l'homme inique" mentionné par St Paul dans le deuxième chapitre de sa deuxième lettre aux Thessaloniciens. C'est donc souvent le contexte qui permet de savoir si une prophétie donnée fait référence à l'Antichrist dans un sens global ou à un individu. Cette distinction devient très importante si nous cherchons une réponse à la question : "est-ce que l'Antichrist en personne est déjà actif dans le monde d'aujourd'hui?"

Dans l'examen qui suit de la tradition prophétique depuis Bienheureuse Anne-Catherine Emmerich (1774-1824) jusqu'à nos jours au sujet de l'Antichrist, plusieurs thèmes restent constants:

  • L'Antichrist opèrera (et opère déjà d'une manière cachée) à la fois dans le monde et dans l'Eglise.

  • Dans le monde, il établira un système totalitaire au niveaux politique et économique, appuyé par les élites mondiales. Il se présentera comme un grand philanthrope capable de résoudre des conflits apparemment intractables, mais une fois au pouvoir, il déclenchera une terrible persécution contre les chrétiens restés fidèles à l'enseignement du Vrai Magistère de l'Eglise catholique.

  • Son action dans l'Eglise vise à la désacraliser, et plus spécifiquement, d'attaquer la doctrine de la Présence Eucharistique réelle. Quand il réalisera cet objectif en protestantisant la Messe catholique, s'accomplira la prophétie du livre de Daniel concernant "l'abomination de la désolation".

  • Pour atteindre ce but, il détournera l'authentique oecuménisme (exprimé dans des documents tels que Redintegratio unitatis) qui essaie de ramener les "frères séparés" à l'Eglise catholique, en le remplaçant par un indifférentisme religieux qui enlevera à la doctrine catholique tout élément qui serait inacceptable pour les autres confessions chrétiennes et même les autres religions.

  • Pour mettre en oeuvre ses plans, "l'homme inique" aura à sa disposition un faux pape. Cet élément des prophéties est certes controversé, car il semblerait donner raison aux célèbres mots de Mélanie Calvat dans la version longue du "Secret" donné par la Vierge à La Salette mais jamais accepté par l'Eglise: "Rome perdra la foi et deviendra le siège de l'Antéchrist". Si le refus de cette version du Secret de La Salette peut se justifier pour beaucoup d'autres raisons, il faudrait néanmoins reconnaître que le motif d'un faux Pape paraît trop souvent dans les écrits des mystiques pour être balayé d'un revers de main. Contrairement à ce que disent beaucoup, rien ne permet d'identifier ce faux pape avec le Pape François, une interprétation qui n'est justifiée par aucun texte prophétique crédible. Il s'agit au contraire d'un anti-Pape qui sera élu de manière illégitime. 

  • Un rôle-clé dans la réalisation de ses objectifs a été joué par la franc-maçonnerie ecclésiastique (la "secte secrète" des visions de Bienheureuse Anne-Catherine Emmerich datant d'il y a 200 ans) qui fonctionne depuis longtemps comme son cheval de Troie. Ce projet, qui existe depuis très longtemps, arrivera bientôt à terme. Il convient de souligner que l'idée du danger de la franc-maçonnerie pour l'Eglise n'est pas l'invention d'amateurs de théories complotistes, étant solidement ancrée dans l'enseignement papal, notamment l'Encyclique Humanum Genus de Léon XIII (1884). 

L'Encyclique "Humanum Genus"

A première vue, la force avec laquelle le Pape Léon XIII aborde la problématique de la franc-maçonnerie dans sa lettre encyclique peut paraître excessive pour des lecteurs contemporains. Pourtant, il faut se souvenir que l'encyclique fut écrite à un moment où l'attitude des mouvements maçonniques par rapport à l'Eglise catholique était devenue très agressif, surtout dans les pays latins (on pense notamment à l'anticléricalisme de la Troisième République en France). Par ailleurs, Léon XIII semble motivé dans son analyse par des questions de fond et de stratégie à long terme. Lu aujourd'hui, tenant compte à la fois de l'évolution de la société occidentale depuis sa publication, ainsi que des écrits des mystiques, Humanum Genus pourrait être qualifié de prophétique dans le sens où la lettre décrit un conflit d'ordre apocalyptique entre les deux Cités (pour reprendre l'image de St Augustin) - l'Eglise et la Loge:

"Ces deux royaumes, saint Augustin les a vus et décrits avec une grande perspicacité, sous la forme de deux cités opposées l'une à l'autre, soit par les lois qui les régissent, soit par l'idéal qu'elles poursuivent; et, avec un ingénieux laconisme, il a mis en relief dans les paroles suivantes le principe constitutif de chacune d'elles : " Deux amours ont donné naissance à deux cités : la cité terrestre procède de l'amour de soi porté jusqu'au mépris de Dieu; la cité céleste procède de l'amour de Dieu porté jusqu'au mépris de soi." Dans toute la suite des siècles qui nous ont précédés, ces deux cités n'ont pas cessé de lutter l'une contre l'autre [...]
A notre époque, les fauteurs du mal paraissent s'être coalisés dans un immense effort, sous l'impulsion et avec l'aide d'une Société répandue en un grand nombre de lieux et fortement organisée, la Société des francs-maçons. Ceux-ci, en effet, ne prennent plus la peine de dissimuler leurs intentions et ils rivalisent d'audace entre eux contre l'auguste majesté de Dieu. C'est publiquement, à ciel ouvert, qu'ils entreprennent de ruiner la sainte Eglise, afin d'arriver, si c'était possible, à dépouiller complètement les nations chrétiennes des bienfaits dont elles sont redevables au Sauveur Jésus Christ."

[...]

"Or, les fruits produits par la secte maçonnique sont pernicieux et les plus amers. Voici, en effet, ce qui résulte de ce que Nous avons précédemment indiqué et cette conclusion Nous livre le dernier mot de ses desseins. Il s'agit pour les francs-maçons, et tous leurs efforts tendent à ce but, il s'agit de détruire de fond en comble toute la discipline religieuse et sociale qui est née des institutions chrétiennes et de lui en substituer une nouvelle façonnée à leurs idées et dont les principes fondamentaux et les lois sont empruntées au naturalisme."

[...]

"Demandons à la Vierge Marie, Mère de Dieu, de se faire notre auxiliaire et notre interprète. Victorieuse de Satan dès le premier instant de sa conception, qu'Elle déploie sa puissance contre les sectes réprouvées qui font si évidemment revivre parmi nous l'esprit de révolte, l'incorrigible perfidie et la ruse du démon. Appelons à notre aide le prince des milices célestes, saint Michel, qui a précipité dans les enfers les anges révoltés; puis saint Joseph, l'époux de la Très Sainte Vierge, le céleste et tutélaire patron de l'Eglise catholique et les grands apôtres saint Pierre et saint Paul, ces infatigables semeurs et ces champions invicibles de la foi catholique. Grâce à leur protection et à la persévérance de tous les fidèles dans la prière, Nous avons la confiance que Dieu daignera envoyer un secours opportun et miséricordieux au genre humain en proie à un si grand danger."

L'invocation de St Michel l'Archange dans l'appel final du Pontife est frappante, datant de la même époque que la prière à St Michel composée par le Pape et liée par beaucoup de commentateurs à une vision de l'avenir de l'Eglise (voir notre article sur Léon XIII). Il est également intéressant de voir le rôle joué par la question de la franc-maçonnerie dans sa correspondance dans les années 1895-1903 avec Bienheureuse Elena Guerra, "l'apôtre de l'Esprit-Saint" (Jean XXIII), dont l'une des propositions était la création d'une "Milice du Saint-Esprit", une société mondiale anti-maçonnique (voir l'article "Une nouvelle Pentecôte").

Références chez les mystiques : Anne-Catherine Emmerich et les "démolisseurs".

Si l'opposition de l'Eglise Catholique à la franc-maçonnerie est déjà ouverte dès les premières condamnations de 1738, ce n'est qu'avec les visions de la Bienheureuse Anne-Catherine Emmerich dans les années 1820 que se dévoile l'aspect eschatologique du conflit entre l'Eglise et la maçonnerie. Dans ses visions de la destruction systématique de l'Eglise par des "démolisseurs", la religieuse augustinienne voit une "secte secrète" à l'oeuvre, dont les habits l'identifient sans ambiguité, et qui a recruté même parmi le clergé:

"Ces gens, en faisant leur travail de destruction, semblaient suivre certaines prescriptions et une certaine règle: ils portaient des tabliers blancs bordés d'un ruban bleu et garnis de poches, avec des truelles fichées dans la ceinture. [...] Je vis avec horreur qu'il y avait aussi parmi eux des prêtres catholiques." (Père Karl Erhard Schmöger Vie d'Anne-Catherine Emmerich, tr. Edmond de Cazalès, vol. II (Paris : Ambroise Bray, 1869), p. 202)  

"J'ai vu des gens de la secte secrète saper sans relâche la grande Eglise [la Basilique Saint-Pierre] et j'ai vu près d'eux une horrible bête qui était montée de la mer. Elle avait une queue comme celle d'un poisson, des griffes comme celles d'un lion, et plusieurs têtes qui entouraient comme une couronne une tête plus grande. Sa gueule était large et rouge. Elle était tachetée comme un tigre et se montrait très familière avec les démolisseurs. Elle se couchait souvent au milieu d'eux pendant qu'ils travaillaient : souvent aussi ils allaient la trouver dans la caverne où elle se cachait quelquefois." [...] "je vis ces démolisseurs pénétrer dans l'église avec la bête."

Leur action est pourtant arrêtée par la Vierge Marie, les démolisseurs prennent la fuite, et l'Eglise est renouvelée avec l'apparition d'un "homme sur un cheval blanc":

"ils y trouvèrent une grande femme pleine de majesté. Il semblait qu'elle fut enceinte, car elle marchait lentement: les ennemis furent saisis d'effroi à sa vue et la bête ne put plus faire un pas en avant. Elle allongea le cou vers la femme de l'air le plus furieux, comme si elle eût voulu la dévorer. Mais la femme se retourna et se prosterna la face contre terre. Je vis alors la bête s'enfuir de nouveau vers la mer et les ennemis courir dans le plus grand désordre: puis je vis, dans le lointain, s'approcher de grandes cohortes, rangées en cercle tout autour de l'église, les unes sur la terre, les autres dans le ciel. La première était composée de jeunes hommes et de jeunes filles, la seconde de gens mariés de toute condition parmi lesquels des rois et des reines, la troisième de religieux, la quatrième de gens de guerre. Et avant de ceux-ci je vis un homme monté sur un cheval blanc. [...] tous les démolisseurs et les conjurés furent chassés de partout devant eux et furent, sans savoir comment, réunis en une seule masse confuse et couverte d'un brouillard [...] je les vis abandonner leur travail de démolition de l'église et se perdre dans les divers groupes. Alorsje vis rebâtir l'église tres promptement et avec plus de magnificence que jamais [...]." (Schmöger, op. cit., vol. III (1872), p. 314)

Il est également intéressant de noter que cet enseignement papal dans Humanum genus sur le naturalisme prôné par la franc-maçonnerie trouve son pendant mystique chez Anne-Catherine Emmerich dans ses paroles sur la "fausse église des ténèbres",

"une fausse Eglise sans Rédempteur, dont le mystère est de n'avoir pas de mystère. C'est lorsque la science s'est séparée de la foi qu'ont pris naissance cette Eglise sans Sauveur, les prétendues bonnes oeuvres sans la foi, la communion des incrédules ayant les dehors de la vertu, en un mot l'anti-Eglise [...] Ils veulent être un seul corps en quelque autre chose que le Seigneur." (Schmöger, op. cit., vol. II, p. 89)

Comme nous verrons, cette lecture prophétique de la relation entre la Bête, la franc-maçonnerie (surtout par rapport à son action à l'intérieur de l'Eglise) et la science matérialiste refera surface 150 plus tard dans les messages reçus par plusieurs mystiques, à commencer par Don Stefano Gobbi et Mgr Ottavio Michelini.