L'idée de l'avènement d'une Ere de Paix, caractérisée par un grand renouveau spirituel suite à une grande purification de l'Eglise et du monde, est constante dans la littérature mystique. Nous trouvons une grande variété d'expressions poétiques pour décrire cette Ere - les textes parlent notamment d'un Ciel Nouveau et une Terre Nouvelle, du Royaume de la Divine Volonté, du Règne Eucharistique du Christ, d'une Nouvelle Pentecôte ou du Triomphe du Coeur Immaculé de Marie. Il s'agit pourtant du même concept fondamental: suivant Isaïe ch. 11 ou 65, ainsi que ch. 20 de l'Apocalypse de St Jean, on prophétise l'avènement d'une époque d'une durée indéterminée (Apoc 20,2-6 évoque le chiffre symbolique de 1000 ans) suivant la défaite de l'Antéchrist (Apoc ch. 19) mais avant le Dernier Jugement. Ce ne sera pas juste une période de paix dans le sens d'une absence de conflit, mais un retour à une harmonie terrestre inconnue depuis la chute de l'homme, avant la toute dernière révolte de "Gog et Magog" (Apoc 20,7-10) et la fin de l'Histoire. L'Ere de Paix représenterait donc un temps intermédiaire à l'intérieur du processus eschatologique conduisant vers l'éternité.
La notion d'une telle Ere, le Royaume de Dieu sur terre, a été fortement contestée comme "millénariste" par les tenants de l'eschatologie de St Augustin dans sa dernière période, pour qui les 1000 ans mentionnés dans l'Apocalypse symbolisaient le Temps de l'Eglise à partir de la Résurrection du Christ. Cette vision augustinienne n'a pas d'autorité dogmatique, mais elle a néanmoins exercé une grande influence sur la pensée eschatologique occidentale jusqu'à nos jours. Cependant, le concept de l'Ere de Paix ne contredit pas l'enseignement du Magistère, n'étant pas millénariste en soi, comme l'ont démontré les travaux récents de théologiens tels que le P. Joseph Iannuzzi, Françoise Breynaert ou Daniel O'Connor. Ces auteurs affirment que l'avènement d'une Ere de Paix est non seulement cohérent avec des passages bibliques qui semblerait contredire le schéma augustinien, mais aussi qu'une telle Ere figurait déjà dans l'eschatologie de nombreux Pères de l'Eglise, dont St Irénée. Dans ces textes patristiques, tout comme chez les mystiques modernes, on ne parle pas d'un règne physique de Jésus présent de nouveau sur terre (un règne physique attendu pourtant par certains groupes protestants et ce qui serait effectivement une position millénariste), mais de son triomphe dans et par l'Eglise. Nous examinerons successivement les Ecritures, la Tradition et les mystiques à ce sujet.