L'expression la plus célèbre - et la plus discutée - utilisée par les mystiques pour décrire l'avènement de l'Ere de Paix est sans doute "le Triomphe du Coeur Immaculé" de Marie, suivant les paroles de la Vierge du 13 juillet 1917 aux petits bergers de Fatima:
"Vous avez vu l’enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs. Afin de les sauver, Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. Si vous faites ce que je vous dis, beaucoup d’âmes seront sauvées et vous aurez la paix. La guerre va se terminer. Mais, si on ne cesse d’offenser Dieu, sous le règne de Pie XI, il en commencera une autre, pire encore. Lorsque vous verrez une nuit éclairée par une lumière inconnue, sachez que c’est le grand signe que Dieu vous donne, qu’Il va punir le monde de ses crimes, par le moyen de la guerre, de la famine et de persécutions contre l’Église et le Saint-Père.
Afin de l’empêcher, Je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Cœur Immaculé et la Communion réparatrice des premiers samedis. Si l’on répond à mes demandes, la Russie se convertira et on aura la paix. Sinon, elle répandra ses erreurs à travers le monde, provoquant des guerres et des persécutions contre l’Église. Les bons seront martyrisés, le Saint-Père aura beaucoup à souffrir, plusieurs nations seront anéanties. A la fin, mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira, et un certain temps de paix sera accordé au monde (portugais: "será concedido ao mundo algum tempo de paz")" (source: site officiel du Sanctuaire de Fatima)
La signification de ce texte et sa corrélation avec les évènements du XXe et XXIe siècles restent contestées. Même si nous laissons de côté la question de savoir si la Russie a été pleinement consacrée au Coeur Immaculé de Marie par Jean-Paul II en 1984, les mots "un certain temps de paix sera accordé au monde" restent difficiles à interpréter, tout comme leur relation logique avec l'affirmation "à la fin, mon Coeur Immaculé triomphera". Si la référence à la "fin" suggère un canevas eschatologique derrière cette phrase, ce n'est pas nécessairement le cas pour le "temps de paix" mentionné à Fatima, au moins au moment des apparitions en 1917. A première vue d'oeil, les paroles de la Vierge aux bergers n'imposent pas une équivalence entre ce "temps de paix" et les "1000 ans" de l'Ere de Paix du ch. 20 de l'Apocalypse. On pourrait même imaginer que, si les demandes de la Vierge (cessation des offenses contre Dieu, Consécration de la Russie et la Communion réparatrice des premiers samedis) avaient exaucées à temps, l'heureux résultat pour le monde aurait logiquement été un temps de paix au lieu de la Deuxième Guerre Mondiale et les persécutions contre l'Eglise déclenchées par le communisme russe. Une paix donc sans lien automatique avec les évènements dramatiques prophétisés par les mystiques plus récents, dont l'essor de l'Antéchrist et sa défaite lors du Retour du Christ - évènements dont les apparitions de Fatima ne parlent pas.
Cependant, une étude des références à Fatima tel qu'on les trouve chez les mystiques postérieurs aux apparitions de 1917, au moins à partir de Bienheureuse Elena Aiello [1] et la toute jeune Teresa Musco [2] dans les années 1950, montre clairement que les mots "à la fin" sont devenus de facto indissociables du contexte des Derniers Temps, et que la paix apportée par le Triomphe du Coeur Immaculé de Marie [3] est bel et bien l'Ere de Paix. Est-ce qu'il s'agit de la révélation progressive de la signification eschatologique du "Triomphe" déjà implicte en 1917, ou bien est-ce que c'est la réponse tardive de l'humanité envers la demande du Ciel qui a tellement retardé l'avènement d'une paix durable qu'elle ne peut désormais arriver qu'après une grande purification et la venue de l'Antéchrist? Il n'y a pas de réponse définitive à cette question, qui peut d'ailleurs paraître théorique en 2020, mais une lecture attentive du récit de l'apparition du 13 juillet 1917 suggère que l'humanité n'a pas saisi l'opportunité offerte pour le Ciel pour instaurer une paix avant une purification globale qu'elle aurait pu au moins retarder. Dans le texte déjà cité, la Vierge présente un scénario dramatique en cas du non-accomplissement de ses requêtes: persécutions, guerres et l'anéantissement de plusieurs nations. Dans cette vision plutôt pessimiste, c'est seulement après ces évènements graves que viendrait le "temps de paix", donc au moment du Triomphe du Coeur Immaculé - à la fin.
Le triste déroulement de l'histoire des XXe et XXIe siècles semblerait indiquer que c'est justement ce scénario que nous avons choisi malgré l'avertissement donné à Fatima.[1]
NOTES:
[1] Dans les prophéties d'Elena Aiello notées par son directeur spirituel Msgr Francesco Spadafora et l'historien Roberto de Mattei nous trouvons des références à l'avènement de Jésus en tant que juge de l'humanité dans le contexte d'un châtiment (encore présenté comme conditionnelle) jamais connu dans l'histoire humaine. La dévotion au Coeur Immaculé de Marie "Refuge Maternel" est présentée comme rémède.
[2] Le mariologue P. Gabriele Roschini cite un message du 3 janvier 1952 reçu par Teresa Musco (âgée de 8 ans), dans lequel la Vierge dit: "je suis apparue au Portugal donnant des messages, et personne ne m'a écoutée." (Teresa Musco. Crocifissa con il Crocifisso (Ancora, 2015), p. 68)
[3] La notion du Triomphe du Coeur Immaculé est particulièrement développée dans les écrits de Don Stefano Gobbi.
