"Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli : j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !
Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?” Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.”
Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?” Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.” Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle." (Matthieu 25, 31-46)
"Et quand les mille ans seront arrivés à leur terme, Satan sera relâché de sa prison, il sortira pour égarer les gens des nations qui sont aux quatre coins de la terre, Gog et Magog, afin de les rassembler pour la guerre ; ils sont aussi nombreux que le sable de la mer. Ils montèrent, couvrant l’étendue de la terre, ils encerclèrent le camp des saints et la Ville bien-aimée, mais un feu descendit du ciel et les dévora. Et le diable qui les égarait fut jeté dans l’étang de feu et de soufre, où sont aussi la Bête et le faux prophète ; ils y seront torturés jour et nuit pour les siècles des siècles.
Puis j’ai vu un grand trône blanc et celui qui siégeait sur ce trône. Devant sa face, le ciel et la terre s’enfuirent : nulle place pour eux ! J’ai vu aussi les morts, les grands et les petits, debout devant le Trône. On ouvrit des livres, puis un autre encore : le livre de la vie. D’après ce qui était écrit dans les livres, les morts furent jugés selon leurs actes. La mer rendit les morts qu’elle retenait ; la Mort et le séjour des morts rendirent aussi ceux qu’ils retenaient, et ils furent jugés, chacun selon ses actes.
Puis la Mort et le séjour des morts furent précipités dans l’étang de feu – l’étang de feu, c’est la seconde mort. Et si quelqu’un ne se trouvait pas inscrit dans le livre de la vie, il était précipité dans l’étang de feu." (Apocalypse 20, 7-15)
1038 La résurrection de tous les morts, " des justes et des pécheurs " (Ac 24, 15), précédera le Jugement dernier. Ce sera " l’heure où ceux qui gisent dans la tombe en sortiront à l’appel de la voix du Fils de l’Homme ; ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, ceux qui auront fait le mal pour la damnation " (Jn 5, 28-29). Alors le Christ " viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges (...). Devant lui seront rassemblés toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche (...). Et ils s’en iront, ceux-ci à une peine éternelle, et les justes à la vie éternelle " (Mt 25, 31. 32. 46).
1039 C’est face au Christ qui est la Vérité que sera définitivement mise à nu la vérité sur la relation de chaque homme à Dieu (cf. Jn 12, 49). Le jugement dernier révélera jusque dans ses ultimes conséquences ce que chacun aura fait de bien ou omis de faire durant sa vie terrestre :
Tout le mal que font les méchants est enregistré – et ils ne le savent pas. Le Jour où " Dieu ne se taira pas " (Ps 50, 3) (...) Il se tournera vers les mauvais : " J’avais, leur dira-t-il, placé sur terre mes petits pauvres, pour vous. Moi, leur chef, je trônais dans le ciel à la droite de mon Père – mais sur la terre mes membres avaient faim. Si vous aviez donné à mes membres, ce que vous auriez donné serait parvenu jusqu’à la tête. Quand j’ai placé mes petits pauvres sur la terre, je les ai institués vos commissionnaires pour porter vos bonnes œuvres dans mon trésor : vous n’avez rien déposé dans leurs mains, c’est pourquoi vous ne possédez rien auprès de moi " (S. Augustin, serm. 18, 4, 4 : PL 38, 130-131).
1040 Le jugement dernier interviendra lors du retour glorieux du Christ. Le Père seul en connaît l’heure et le jour, Lui seul décide de son avènement. Par son Fils Jésus-Christ Il prononcera alors sa parole définitive sur toute l’histoire. Nous connaîtrons le sens ultime de toute l’œuvre de la création et de toute l’économie du salut, et nous comprendrons les chemins admirables par lesquels Sa Providence aura conduit toute chose vers sa fin ultime. Le jugement dernier révélera que la justice de Dieu triomphe de toutes les injustices commises par ses créatures et que son amour est plus fort que la mort (cf. Ct 8, 6).
1041 Le message du Jugement dernier appelle à la conversion pendant que Dieu donne encore aux hommes " le temps favorable, le temps du salut " (2 Co 6, 2). Il inspire la sainte crainte de Dieu. Il engage pour la justice du Royaume de Dieu. Il annonce la " bienheureuse espérance " (Tt 2, 13) du retour du Seigneur qui " viendra pour être glorifié dans ses saints et admiré en tous ceux qui auront cru " (2 Th 1, 10).
Les références au Jugement dernier et universel à la fin du monde - donc après l'Ere de Paix - sont relativement peu nombreuses chez les mystiques, ayant tendance simplement à souligner que le Jugement dernier représente le tromphe ultime de Dieu sur le mal et que ce qui a caché sera rendu public. On peut néanmoins citer quelques fragments intéressants:
Dans le premier volume de son journal spirituel, Luisa offre un enseignement sur le lien entre l'Euchariste, la résurrection des morts et le jugement dernier:
"Pendant que j'assistais attentivement au Sacrifice Divin, Jésus me fit comprendre que la messe recouvre tous les mystères de notre religion. [...] Jésus me fit aussi comprendre que la messe et la Sainte Eucharistie sont un rappel perpétuel de sa Mort et de sa Résurrection, qu'ils nous donnent le remède parfait pour notre vie mortelle et qu'ils nous disent que nos corps, qui seront désintégrés et réduits en cendre par la mort, ressusciteront pour la vie éternelle au dernier jour. Pour les bons, ce sera pour la gloire, et pour les méchants, ce seront les tourments. Ceux qui n'ont pas vécu avec le Christ ne ressusciteront pas en lui. Mais les bons qui ont été intimes avec lui pendant leur vie, auront une résurrection similaire à la sienne.
[...] Dans le sacrement de l'Eucharistie, Jésus nous rappelle que notre corps ressuscitera dans la gloire. Tout comme Jésus retourne dans le Sein du Père quand cesse sa présence sacramentelle, ainsi passerons-nous à notre résidence éternelle dans le Sein du Père quand nous cesserons d'exister à travers notre vie terrestre présente. Notre corps, à l'instar de la présence sacramentelle de Jésus après la consommation de l'hostie, semblera ne plus exister. Mais, au jour de la Résurrection universelle, par un très grand miracle de la Toute-Puissance divine, il reprendra vie et, uni à notre âme, il jouira de la béatitude éternelle de Dieu. D'autres, au contraire, s'en iront loin de Dieu pour souffrir d'atroces et éternels tourments.
[...] En ce grand jour de la résurrection des corps, un grand événement surnaturel se déroulera, comparable à ce qui se passe au moment où, après que nous ayons contemplé le ciel étoilé et que le soleil apparaît, celui-ci absorbe la lumière des étoiles; mais, même si elles disparaissent du regard de l'observateur, les étoiles gardent leur lumière et restent à leur place. Semblables à des étoiles, les âmes, réunies pour le jugement universel dans la Vallée de Josaphat, seront capables de voir les autres âmes. La lumière acquise et communiquée par le Très Saint Sacrifice et le sacrement d'Amour sera visible dans chaque âme. Mais quand Jésus, le Soleil de Justice, se présentera, il absorbera en lui toutes les âmes saintes. Il leur permettra de toujours exister, pour nager dans les immenses mers des attributs divins.
Et qu'adviendra-t-il des âmes privées de cette Lumière divine? Si je voulais répondre à cette question, je pourrais écrire bien longtemps. Si le Seigneur le veut, je réserverai cette question pour une autre occasion. Jésus me fit comprendre que les corps qui seront réunis à leur âme resplendissante de lumière, seront éternellement unis à Dieu. Mais les âmes qui n'auront pas de lumière parce qu'elles ne voulaient pas participer au Saint Sacrifice et au sacrement d'Amour, seront jetées dans les profondeurs des ténèbres. Et, à cause de leur ingratitude volontairement commise contre le Grand Donateur, elles deviendront des esclaves de Lucifer, le prince des ténèbres. Elles seront éternellement tourmentées par de terrifiants remords. (Livre du Ciel, t. 1 ch. 51)
Luisa rapporte également le dialogue suivant avec Jésus sur le dévoilement des intentions derrière nos actes lors du jour du jugement:
"À plusieurs reprises au cours de la journée, pendant que je méditais, Jésus est venu près de moi. Il m'a dit: "Ma personne est entourée des actions des âmes comme d'un vêtement. Plus leurs intentions sont pures et leur amour intense, plus elles me donnent de splendeur; de mon côté, je leur donne plus de gloire, à tel point qu'au jour du jugement, je les ferai connaître au monde entier afin qu'on sache combien elles m'ont honoré et combien je les honore."
D'un air affligé, il ajouta: "Ma fille, qu'adviendra-t-il des âmes ayant fait tant d'actions, même bonnes, sans pureté d'intention, par habitude ou par égoïsme? Quelle honte elles éprouveront au jour du jugement en voyant ces actions, bonnes en soi, mais tarées à cause de leurs intentions imparfaites; au lieu de leur faire honneur, elles seront source de honte pour elles et pour bien d'autres. En fait, ce n'est pas la grandeur des actions qui m'importe mais l'intention avec laquelle elles sont faites." (Le Livre du Ciel, tome 2, 7 mai 1899)
Dans les Confidences de Jésus à un prêtre d'Ottavio Michelini, il est clair que le jugement dernier arrivera à l'issue du dernier combat contre le Mal après l'"aube glorieuse" de l'Ere de Paix:
"Viendra l’heure de la purification, et la Vierge corédemptrice écrasera pour la seconde fois la tête du Serpent infernal. L’Eglise et l’humanité, renouvelées, verront une aube radieuse, jamais connue auparavant. Une période de paix et de justice sera la réponse à toutes les provocations de l’enfer contre une pauvre humanité qui s’était faite la collaboratrice des forces du Mal. Puis on arrivera à l’ultime phase de cette lutte entre la lumière et les ténèbres, entre l’amour et la haine, entre la vie et la mort. A la fin seulement, il y aura la troisième et décisive intervention de la Sainte Vierge qui écrasera de nouveau, pour la troisième fois, la tête de Satan. Suivra le Jugement, la séparation définitive du Paradis et de l’enfer, c’est-à-dire des sauvés et des damnés." (20 janvier 1976)
Le jugement dernier se présente comme le moment de la victoire finale de Dieu sur Satan, dont l'humiliation ultime consistera à savoir qu'il aura servi malgré lui à la sanctification de nombreuses âmes:
"Cependant, Satan, le génie maléfique du mal, incapable de bien, le jour du jugement final, avec une honte désespérée, devra admettre avoir apporté une très grande contribution à la sanctification et donc à la glorification d'une multitude de saints, de martyrs etvierges dans les régions bénies du Paradis. Dessin merveilleux et miséricordieux, dessein mystérieux de l'omniscience et l'omnipotence divine! La confusion sera grande ce jour-là de larmes et d'amertume, mais aussi jour de justice parfaite.
Moi, le Verbe de Dieu fait chair, en présence du Ciel et de la terre, de tous les vivants du monde invisible et visible, dans la splendeur de ma gloire et de ma majesté divine, je montrerai ma puissance infinie.
Moi, la Résurrection et la Vie, je prononcerai la sentence sans appel [...] Ceux qui ont cru en moi vivront pour toujours. Ceux qui n'ont pas cru en moi auront la mort éternelle dans ce lieu de tourments sans fin et sans espoir." (13 juin 1976)
Dans L'Evangile tel qu'il m'a été révélé, Maria Valtorta attribue ce commentaire sur la différence entre le jugement particulier et le jugement dernier dans le contexte d'un enseignement à ses Apôtres sur la Prêtrise:
"Auparavant, j’étais parmi les hommes pour juger et pardonner. Maintenant, je vais au Père. Je reviens dans mon Royaume. La faculté de juger ne m’est pas enlevée. Elle est même tout entière entre mes mains puisque le Père me l’a confiée. Mais c’est un jugement redoutable, car il se fera quand il ne sera plus possible à l’homme de se faire pardonner par des années d’expiation sur la terre. Toute créature viendra à moi avec son âme quand elle laissera, à cause de la mort matérielle, sa chair comme une dépouille inutile. Et je la jugerai une première fois. Puis l’humanité reprendra son vêtement de chair sur commandement céleste, pour être séparée en deux parties : les agneaux avec le Pasteur, les boucs sauvages avec leur Tortionnaire." (Tome 10, n° 629)
Dans le Cahiers, deux "résurrections" sont distinguées:
"La première commence au moment où l'âme se sépare du corps et apparaît devant moi pour le jugement particulier. Mais ce n'est qu'une résurrection partielle; au lieu de parler de résurrection on pourrait dire: libération de l'esprit de l'enveloppe de la chair, esprit qui est dans l'attente de se réunir à la chair pour reconstruire le temple vivant, créé par le Père, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Une oeuvre dont il manque une partie est incomplète et donc imparfaite. L'oeuvre-homme, parfaite dans sa création, est incomplète et imparfaite si elle n'est pas réunie dans ses différentes parties. Destinés au Royaume de Lumière ou au séjour des ténèbres, les hommes doivent y demeurer éternellement avec leur entité de chair et d'esprit.
C'est pourquoi l'on parle de première et de seconde résurrection." (22 août 1943)
Expliquant la vision d'Ezéchiel des ossements desséchés, Jésus décrit la résurrection des morts et la fin du monde:
"Un jour viendra que sur un monde mort, sous un firmament éteint, apparaîtront au son de la trompette angélique des os et des os de morts. Comme un ventre qui s'ouvre pour enfanter, ainsi la Terre expulsera de ses entrailles tous les os des hommes qui sont morts sur elle et ont été ensevelis dans sa boue, depuis Adam jusqu'au dernier homme. Et ce sera alors la résurrection des morts, pour le grand et suprême jugement après lequel, comme une pomme de Sodome, le monde se videra pour devenir un néant, et ce sera la fin du firmament avec ses astres. Tout prendra fin, sauf deux choses éternelles, éloignées, aux extrémités de deux abîmes d'une profondeur incalculable, en opposition pour la forme et l'aspect et pour la manière dont en eux continuera éternellement la puissance de Dieu: le Paradis: lumière, joie, paix, amour; l'Enfer: ténèbres, souffrance, horreur, haine." (L'Evangile tel qu'il m'a été révélé Tome 7, n° 186)
Dans une entrée dans les Cahiers de Maria Valtorta datée le 29 janvier 1944, nous trouvons une grande vision qui correspond à ces mots:
"Voici ce que je vois ce soir :
Une immense étendue de terre. C’est une véritable mer, tant elle est infinie. J’emploie le terme de "terre" parce qu’il y a de la terre comme dans les champs et sur les chemins. Mais il ne s’y trouve pas un arbre, pas une plante, par un brin d’herbe: de la poussière et encore de la poussière.
Je vois tout cela sous une lumière qui n’en est pas vraiment une. Une clarté à peine esquissée, livide, d’une teinte vert-violet comme on peut en observer lors d’orages extrêmement forts ou à l’occasion d’éclipses totales. Une lumière, qui fait peur, d’astre éteint. Voilà, le ciel est dénué d’astres. Il n’y a ni étoiles, ni lune, ni soleil. Le ciel est aussi vide que l’est la terre. Le premier est privé de ses fleurs de lumière, la seconde de sa vie végétale et animale. Ce sont deux immenses dépouilles de ce qui fut.
[...]
Pendant que je regarde cette scène désolée dont je ne vois pas la nécessité, je vois la Mort qui apparaît de je ne sais où et se tient droite au milieu de cette plaine infinie.
C’est un squelette qui rit de toutes ses dents découvertes, aux orbites vides. Reine d’un monde mort, elle est enveloppée d’un suaire comme d’un manteau. Elle n’a pas de faucille. Elle a déjà tout fauché. Elle porte son regard vide sur sa moisson et ricane.
Elle a les bras croisés sur la poitrine. Puis elle les desserre, ces bras squelettiques, et ouvre des mains qui ne sont rien d’autre que des os nus. Comme c’est un personnage géant et omniprésent — ou plus exactement : proche de tout — elle me touche le front du doigt, de l’index de la main droite. Je sens le froid glacé de l’os pointé, et j’ai l’impression qu’il me perfore le front et m’entre dans la tête comme une aiguille de glace. Mais je comprends que cela n’a pas d’autre signification qu’un désir d’attirer mon attention sur ce qui est en train de se passer.
Effectivement, elle fait, de son bras droit, un geste qui me désigne l’étendue désolée sur laquelle nous nous tenons, elle comme reine et moi comme unique être vivant. Sur son ordre muet, donné d’un doigt squelettique de sa main gauche tout en tournant la tête à droite et à gauche en rythme, la terre se fend en milliers de fissures; au fond de ces sombres sillons, de petites choses blanches éparses blanchissent, mais je ne comprends pas ce que c’est.
Pendant que je m’efforce de deviner ce dont il s’agit, la Mort continue à labourer les mottes de terre en se servant de son regard et de son ordre comme d’une bêche; les mottes s’ouvrent toujours plus jusqu’aux confins de l’horizon. Elle sillonne les vagues des mers sans voiles, et les eaux s’ouvrent en tourbillons liquides.
Ensuite, de ces sillons de terre et de mer, il sort les choses blanches que j’ai vues éparses et disjointes, et elles se recomposent. Ce sont des millions, des millions et encore des millions de squelettes qui remontent à la surface des océans et se dressent sur le sol. Des squelettes de toutes tailles, depuis ceux, minuscules, des enfants aux mains semblables à de petites araignées poussiéreuses, à ceux des hommes adultes et même aux gigantesques dont les dimensions font penser à un être antédiluvien. Ils t’ont tout étonnés et un peu tremblants, semblables à ceux qui sont réveillés en sursaut d’un profond sommeil et ne saisissent pas bien où ils se trouvent.
La vue de tous ces corps squelettiques et blanchâtres dans cette "non-lumière" d’apocalypse est terrifiante.
Ensuite, une nébulosité se condense lentement autour de ces squelettes, semblable à un brouillard qui monte du sol ouvert et des mers ouvertes. Elle prend forme et se fait opaque, devient chair, se transforme en un corps pareil au nôtre, les vivants. Les yeux — ou plutôt les orbites — se remplissent d’iris, les pommettes se couvrent de joues, des gencives s’étendent sur les mandibules découvertes, les lèvres se reforment, les cheveux reprennent leur place sur les crânes, les bras deviennent gracieux et les doigts agiles, et tout le corps redevient vivant, identique au nôtre.
Identique, mais d’aspect différent: ce sont des corps magnifiques dont la perfection de forme et de couleurs les fait ressembler à des œuvres d’art; d’autres sont horribles, non qu’ils soient réellement estropiés ou difformes, mais par leur aspect général plus proche de la brute que de l’homme. Ils ont les yeux torves, des visages contractés, l’air bestial et, ce qui me frappe le plus, une obscurité qui émane du corps et accroît la lividité de l’air qui les entoure.
En revanche, ceux qui sont magnifiques ont les yeux rieurs, le visage serein, l’aspect doux, et il en émane une luminosité qui devient auréole autour de leur être de la tête aux pieds et rayonne autour d’eux.
Si tous étaient comme les premiers, l’obscurité deviendrait totale au point de recouvrir toutes choses. Mais, grâce aux seconds, la luminosité, non seulement perdure, mais augmente, à tel point que je peux tout observer.
Les laids, dont je ne doute pas du destin de malédiction puis qu'ils la portent inscrite sur le front, se taisent en jetant des coups d’œil apeurés et torves, de bas en haut autour d’eux; ils se regroupent d’un côté sur un ordre intérieur que je n’entends pas mais qui doit être donné par quelqu’un et perçu par les ressuscités. Les magnifiques se réunissent eux aussi en souriant et en regardant les laids avec une pitié mêlée d’horreur. Et ils chantent, ces magnifiques, ils chantent un chœur lent et doux de bénédiction à Dieu.
Je ne vois rien d’autre. Je comprends que j’ai assisté à la résurrection finale."