« La prophétie est premièrement et principalement un acte de connaissance; en effet les prophètes connaissent les réalités qui échappent à la connaissance ordinaire des hommes. Aussi peut-on dire que le nom de " prophète " est composé de pro, c'est-à-dire « loin » et de phanos qui signifie « apparition », parce que les prophètes voient apparaître ce qui est éloigné. » explique ainsi Saint Thomas d'Aquin (Somme Théologique, IIa IIae, Qu.171, art.1)
Le mot français « prophète » tire son origine du verbe grec phèmi (« dire »), précédé de la préposition pro (« au nom de » ou « devant »). Ainsi, le prophète biblique est celui qui parle au nom de Dieu, mais jamais en son propre nom. Il est celui qui manifeste la volonté divine. Le mot hébreu le plus fréquemment utilisé dans la Bible est celui de « nabi » : le « parleur » ou « l’appelé » : celui qui parle parce que Dieu l’a envoyé en mission. Deux mots importants désignent aussi le « prophète » : « homme de Dieu » (ou « familier de Dieu »), ou encore « voyant », « visionnaire », celui qui a une « vision » (cf. 1 S 9, 9, etc.).
- Les prophètes sont les êtres de la parole de Dieu (« la Parole de Yahweh fut adressée à...), ceux qui la transmettent aux hommes, dans le contexte culturel et religieux de leur temps. Autrement dit, le vrai prophète est celui qui accepte de prêter à Dieu sa bouche et son corps, de lui donner sa vie.
- Il existe un risque très sérieux de confusion sémantique lorsqu’on évoque les prophéties, parce qu'une prophétie au sens judéo-chrétien du terme n’est ni le dévoilement (organisé de façon rituelle) d’un avenir plus ou moins lointain, ni la description de faits futurs que Dieu aurait décidé par avance sans se soucier des hommes (prédiction).
- Dans l’histoire de l’humanité, il a existé bien des formes de prédictions qui ont été, selon les cas, jugées d’origine « surnaturelle ». Mais ces soi-disant « révélations » de l’avenir étaient le plus fréquemment le fait de personnages spéciaux, considérés comme des spécialistes des forces invisibles et de l’au-delà, doués de « capacités » qui en faisaient des êtres situées au-dessus des gens habituels, ce qui n’est absolument pas le cas des prophètes bibliques et chrétiens, qui, quant à eux, ne jouissent d’aucun « pouvoir » personnel mais reçoivent tout de Dieu dont ils ne sont que les humbles instruments.
Ovide croit que les arts divinatoires tirent leur origine d’un personnage nommé Tagès, créature à forme humaine constituée à d’une portion de terre, découverte dans un champ par un laboureur tyrrhénien. Tagès aurait enseigné aux Etrusques l’art de dévoiler l’avenir (Ovide, Métamorphoses, 450). De fait, la civilisation étrusque a largement pratiqué les arts divinatoires. Le statut et le rôle des augures étaient consignés dans un livre officiel, l’Etrusca disciplina. Cet ouvrage consignait aussi tous les signes « révélés » par magie et divination.
Selon Plutarque, Numa Pompilius, mort en 673 avant notre ère, serait né le jour de la fondation de Rome. Il rencontrait Egérie la nuit, près d’une source située dans un bois « sacré », qui lui aurait dévoilé l’avenir politique de son règne. Ovide racontera que plus tard, après la mort de Numa, Egérie, inconsolable, fut transformée en source par la déesse Diane. En réalité, Numa s’adonnait à l’hydromancie, l’art de la divination au moyen de l’eau, comme l’avait bien vu saint Augustin. Cette forme de divination était une survivance du culte sumérien voué à Enki, dieu de l’eau et des prédictions.
Les augures et les égéries étaient chargées de prédire l’avenir dans la religion romaine. Des prêtres interprétaient les phénomènes météorologiques comme des signes de la volonté de Jupiter en particulier.
Autour du peuple juif, la Mésopotamie (archives du royaume de Mari, vers 2000-1750 avant J.C.), l’Egypte pharaonique et le monde grec (sanctuaire de Delphes) ont leurs devins ; ce sont fréquemment des personnages importants, jouissant de statuts particuliers. Ils consultent les « divinités » avant que les souverains prennent une importante décision, comme déclarer une guerre par exemple. L’Ancien Testament fait allusion à ces personnages respectés, comme par exemple, le devin des Ammonites (Nb 22-24) ou les « prophètes » de Baal, rivaux du prophète Elie (1 R 18).
« Pythie » proviendrait du mot « python », serpent vivant dans une grotte, près de ce sanctuaire (certains pensent que ce nom proviendrait de « Pytho », le nom archaïque de la ville de Delphes). Les prêtres choisissaient des jeunes filles vierges, de condition modeste, pour qu’elles servent d’intermédiaire entre les hommes et les dieux. Après s’être purifiée, la pythie, tenant un rameau dans les mains, devait ingérer des feuilles de laurier (dits « Laurier d’Apollon ») en les mastiquant, ce qui permettait chez elle une « élévation » spirituelle nécessaire pour recevoir les prédictions. En fait, la consommation des dites feuilles provoquait des hallucinations visuelles et auditives ! On évoquait aussi la présence de vapeurs en provenance de la roche qui seraient le signe de la présence des dieux. Les « oracles » ainsi communiqués à la pythonisse, étaient « interprétés » par les prêtres, ces « messages » restant incompréhensibles aux gens normaux, ce qui est, notons-le au passage, complètement contraire aux messages prophétiques chrétiens. Platon estimait que les pythies de Delphes ont rendu « à la Grèce nombre de beaux services. » (Platon, Phèdre, 244.)
De son côté, Cicéron ne tarit pas d’éloge face à ces pratiques : « Quelle est la nation, quelle est la cité, dont la conduite n’a pas été influencée par les prédictions qu’autorisent l’examen des entrailles et l’interprétation raisonnée des prodiges ou celle des éclairs soudains, le vol et le cri des oiseaux, l’observation des astres, les sorts ? […] Quelle est celle que n’ont point émue les songes ou les inspirations prophétiques ? » (Cicéron, De la divination, I, 6.)
- Les « voyantes », chiromanciennes, médiums, astrologues et autres diseuses de bonne aventure, ont une activité qui génère chaque année dans le monde actuel des dizaines de millions d’euros. Elles sont les héritières en voie directe des pratiques divinatoires de l’Antiquité égyptienne, grecque et romaine, avec, ici et là, une adaptation au vocabulaire contemporain.
- Dans le langage commun, on confond « voyantes » (Madame Soleil…), « devins », « devineresses » et autres « pythies » de l’Antiquité. Même Nostradamus (XVIème siècle) est rangé parmi les « prophètes ».
Réduire une prophétie à une description pure et simple d’événements à venir revient à écarter la liberté, la providence et la sagesse divine de l’évolution du monde. Marthe Robin, à qui on a prêté de nombreuses prophéties, disait : « Je ne sais rien, sauf une chose : que l’avenir, c’est Jésus. » (Jean Guitton, Portrait de Marthe Robin, Grasset, 1958, p. 107).
Les prophéties authentiques, comme celles contenues dans la Bible sont une « sorte de perspective divine » dans le cadre de l’alliance que Dieu propose à l’humanité (expression de Jean Guitton, à propos de Marthe Robin, 1958).
- L’Église confesse que la Révélation chrétienne est achevée à la mort du dernier apôtre. Pour les chrétiens, Jésus est le Fils de Dieu, Celui en qui le Père céleste a tout dit. En ce sens, le Christ est le prophète parfait.
- A la suite de Jésus, le Nouveau Testament voit en saint Jean-Baptiste, le prophète « précurseur » du Messie. De même, les paroles de prophétie sont attestées parmi les premiers chrétiens. L’Apocalypse selon saint Jean, rédigé dans le dernier tiers du Ie siècle, bien qu’appartenant au genre littéraire de l’apocalyptique juive, est un texte d’allure évidemment prophétique.
- Dans le monde juif, Abraham est appelé « prophète » car il reçoit des messages venant de Dieu, tout comme Isaac et Jacob. Ainsi, de -1700 à -350, la tradition juive identifie 48 prophètes qui se succèdent et apportent des paroles nouvelles annonçant le Messie à venir, puisque selon le Talmud « tous les prophètes sans exception n’ont prophétisé que pour les jours du Messie » (Talmud, traité Sanhédrin - fol. 99 recto; Sabbat, fol. 63 recto ; Berahhot, fol. 54 verso). Mais ce « ciel ouvert » finit par se refermer. Les Juifs eux-mêmes le reconnaissent : cette période est finie, et il n’y a plus d’annonces prophétiques depuis 2.000 ans.
- Dans l'Eglise au contraire, Dieu est toujours vivant et actif : le charisme de prophétie continue d’aider et d'accompagner les croyants au fil des siècles, puisque Dieu se tient toujours auprès de son peuple ; saint Paul évoque ce don de Dieu et légifère à ce sujet (1 Co 14, 1, etc.). L’Église reconnaît ce charisme de prophétie, comme une parole manifestant la présence de Dieu dans l’Esprit Saint. L’authenticité d’une prophétie provient de la vérité de la communication de Dieu. Elle se discerne à son affinité avec la tradition biblique et l’enseignement de l’Église. Celle-ci reconnaît nombre de paroles prophétiques dans la vie des saints comme nous allons le voir.