Né à Naples en 1882, Dolindo Ruotolo (dont le prénom signifie "douleur") est ordonnné prêtre en 1905 après une enfance très difficile, surtout à cause d'un père tyrannique. Devenu professeur de chant grégorien, il est interrogé par le Saint-Office en 1907 par rapport à ses expériences mystiques et suspendu du ministère sacerdotal, n'étant pleinement réhabilité qu'en 1937. Vivant dans une grande pauvreté et tenu en haute estime par saint Padre Pio, Don Dolindo fut l'auteur de 33 volumes de commentaires sur les Ecritures, mis sur l'Index par ses opposants au Vatican (dont Agostino Gemelli, ennemi également du Padre Pio) malgré le soutien de plusieurs cardinaux, pour leur trop grande simplicité et une approche pastorale jugée trop loin de la méthode prônée par les partisans de l'exégèse historico-critique. Don Dolindo écrit également un très grand nombre de communications d'ordre mystique commençant par les mots: "Jésus à l'âme" ou "Marie à l'âme", destinées pour la plupart aux individus, écrites sur des cartes portant des images religieuses. Selon l'auteure polonaise Joanna Batkiewicz-Brozek [1], des recherches menées en lien avec l'ouverte de la cause pour la béatification de Don Dolindo par l'archidiocèse de Naples ont révélé l'existence de quelques 220 000(!) de ces "imaginette". On a recueilli de nombreux témoignages parlant de miracles liés à son intercession, à la fois de son vivant et après sa mort en 1970 après dix ans de paralysie. Il est surtout connu du grand public pour sa fameuse "prière d'abandon" : "Oh! Jésus, je m'abandonne à Toi, à Toi d'y penser" (O Gesù, mi abbandono a te. Gesù, prendi tu il comando.) [2]
Jugeant par les "imaginette", il semble que les dons prophétiques de Don Dolindo s'exerçaient avant tout au niveau individuel, un peu comme dans le cas de Marthe Robin. Une prophétie du mystique napolitain est pourtant devenue célèbre, car elle prédit la mission historique de Jean-Paul II dans un message se trouvant au verso d'une carte portant l'image de "Maria Regina Gloriosissima", adressée au diplomate polonais Witold Laskowski et datée le 2 juillet 1965:
"Marie à l'âme: Le monde va vers sa ruine, mais la Pologne, comme au temps de [Jean]Sobieski, par sa dévotion à mon Coeur, sera aujourd'hui comme les 20 mille [soldats] qui ont sauvé l'Europe et le monde de la tyrannie turque [en 1683]. Maintenant c'est la Pologne qui libérera le monde de la terrible tyrannie communiste. Un nouveau Jean surgira qui brisera de manière héroïque les chaînes au-delà des confins imposés par la tyrannie communiste. Retiens cela. Je bénis la Pologne. [...]"
Une copie de la carte a été retrouvée en 1978 et authentifiée le 24 mars 1979 par l'évêque slovaque Pavel Hnilica (1921-2006). Il fallait par contre attendre 2005 pour retrouver l'original chez la Soeur Eugenia Giussani, qui assistait Mgr Hnilica dans ses derniers jours. [3]
On attribue également à Don Dolindo une prophétie aux accents eschatologiques qui concernerait le "trône" d'un "monstre"[4]
"Jésus à l'âme: Quand tu croiras que le monde est abandonné aux puissants et aux tyrans, et que tout s'aligne contre l'Église, sache que le trône du monstre est miné et qu'il va se dissoudre en un éclair, frappé par une petite pierre venue de la montagne. Laisse-moi le faire parce que j'harmonise la liberté avec les exigences de la gloire divine, et laisse le cours aux méchants pour ensuite en tirer la gloire divine. Tu le verras même dans le détail, car certains hommes violents disparaîtront du soir au matin et les familles retrouveront la paix et la prospérité."
Le livre Così ho visto l'Immacolata, publié sept ans après sa mort, contient 31 lettres écrites par Don Dolindo en mai 1921 à Rome, lors de ses interrogatoires par le Saint-Office, adressées à certaines de ses filles spirituelles. Dans ces lettres, la Vierge Marie parle en première personne [5] expliquant notamment à la nécessité de la purification de l'Eglise et du monde par une "opération chirurgicale" qui, malgré les apparences, sera paradoxalement un acte de miséricorde :
"Dieu seul!
C'est moi, Marie Immaculée, Mère de la Miséricorde.
C'est moi qui dois vous ramener à Jésus car le monde est si loin de lui et ne trouve pas le chemin pour revenir, étant si plein de misères! Seule un grand [acte de] miséricorde peut amener le monde à surmonter l'abîme dans lequel il est tombé. [...] Vous ne vous demandez pas dans quel état se trouve la terre et que sont devenues les âmes! Ne voyez-vous pas que Dieu est oublié, inconnu, que la créature s'idolise elle-même, qu'elle s'exhibe ainsi pour se donner à tous ceux qui passent, pour devenir leur idôle. Ne voyez-vous pas que l'Église languit et que toutes ses richesses sont ensevelies, que ses prêtres sont inactifs, qu'il sont souvent mauvais et dispersent la vigne du Seigneur?
Le monde est devenu un champ de mort, ... aucune voix ne le réveillera à moins qu'une grande miséricorde ne le soulève. Vous devez donc, mes filles, implorer cette miséricorde en vous adressant à moi qui suis la Mère [du monde]: "Salva Regina, Mère de miséricorde, notre vie, douceur et espérance".
Qu'est-ce que la miséricorde selon vous? Ce n'est pas seulement l'indulgence mais aussi le remède, le médicament, l'opération chirurgicale.
La première forme de miséricorde que doit avoir cette pauvre terre, et l'Église d'abord, doit être la purification. N'ayez pas peur, ne craignez pas, mais il faut qu'un terrible ouragan passe d'abord sur l'Église puis sur le monde!
L'Église semblera presque abandonnée et ses ministres la déserteront partout ... les églises devront même être fermées! Le Seigneur rompra par sa puissance tous les liens qui la lient maintenant à la terre et la paralysent!
Ils ont négligé la gloire de Dieu pour la gloire humaine, pour le prestige terrestre, pour le faste extérieur, et toute ce faste sera englouti par une persécution terrible, nouvelle! Ensuite, nous verrons à quoi servent les prérogatives humaines et comment il valait mieux s'appuyer sur Jésus uniquement, qui est la vraie vie de l'Église.
Quand vous verrez les Pasteurs expulsés de leurs sièges et rélégués à des maisons pauvres, quand vous verrez les prêtres privés de tous leurs biens, quand vous verrez la grandeur extérieure abolie, dites que le royaume de Dieu est imminent! Tout cela est de la miséricorde, ce n'est pas un mal!
Jésus voulait régner en élargissant son amour et à plusieurs reprises ils l'ont empêché de le faire. Il dispersera donc tout ce qui n'est pas à lui et frappera ses ministres pour que, privés de tout soutien humain, ils ne vivent qu'en lui et pour lui!
Voici la vraie miséricorde, et je n'empêcherai pas ce qui semble être un revers mais qui est un grand bien, car je suis la Mère de la miséricorde!
Le Seigneur commencera par sa maison et de là il ira au monde...
L'iniquité, ayant atteint son apogée, s'effondrera et se dévorera..." [6]
NOTES
[1] https://fr.aleteia.org/2018/06/14/la-priere-la-plus-courte-qui-vaut-plus-que-mille-prieres/
[2] Joanna Batkiewicz-Brozek, Jezu, Ty sie tym zajmij! (Editions Esprit, Cracovie, 2017)
[3] Plus d'informations: https://it.aleteia.org/2020/09/30/profezia-don-dolindo-giovanni-paolo-ii/
[4] Mot qui évoque le Secret de la Salette consigné par Maximin Giraud en 1851: [...] "de grand troubles arriveront, dans l'Eglise, et partout. Puis, après [cela], notre Saint-Père le pape sera persécuté. Son successeur sera un pontife que personne [n']attend. Puis, après [cela], une grande paix arrivera, mais elle ne durera pas longtemps. Un monstre viendra la troubler."
[5] Dans l'introduction au livre, nous trouvons quelques textes de Don Dolindo où il est clair qu'il considérait ces lettres comme le fruit d'une illumination surnaturelle. Le 28 mai 1921 il écrit: "Ô Marie, cela fait déjà presque un mois que tu me parles, que tu me révéles, instruises, vivifies dans l'obscurité de cette petite pièce, où personne n'aurait même rêvé qu'un tel mystère de l'amour pourrait se dévoiler! [...] Cette lumière qui illumine ne vient pas de mon pauvre esprit, plus confus que jamais en raison de la grande anxiété qui me torture." Il est question des incompréhensions et accusations de la part des autorités ecclésiales. Don Dolindo Ruotolo, Così ho visto l'Immacolata (deuxième édition), Apostolato Stampa, Naples 2002, p. 2.
[6] Ibid., pp. 119-120.