De son vivant, St Jean Bosco (1815-1888), fondateur des Salésiens, nommé le "Saint Vincent de Paul italien" par Le Figaro en 1883 lors d'un grand voyage triomphal en France, était très connu non seulement pour ses oeuvres de charité, mais aussi ses dons charismatiques (guérisons, connaissance surnaturelle des âmes à la manière du Curé d'Ars, prophéties). Nous avons par exemple un grand nombre d'exemples de "paroles de connaissance" prémonitoires dites par le Saint, prédisant souvent le décès de personnes spécifiques avec une inquiétante précision. A la fin de 1854, il annonce notamment que la "main de mort" est sur la cour du roi Vittorio Emanuele II de Savoie : la reine mère, le frère du roi, la reine et son fils, décèdent tous dans les mois qui suivent.
Les Mémoires Biographiques contiennent plus de 150 descriptions de visions ou rêves prophétiques, des "paraboles habillées en songe", dont certaines à caractère fort dramatique, voire apocalyptique.
Le songe le plus célèbre du Saint de Turin est sans doute celui du 30 mai 1862 au sujet des "deux colonnes" ou "trois blancheurs" qui garantissent la pérennité de l'Eglise malgré crises et persécutions: l'Eucharistie, la Vierge Marie et le Pape :
"J’ai vu une grande bataille sur la mer : le navire de Pierre, piloté par le Pape et escorté de bateaux de moindre importance, devait soutenir l’assaut de beaucoup d’autres bâtiments qui lui livraient bataille. Le vent contraire et la mer agitée semblaient favoriser les ennemis.
Mais au milieu de la mer, j’ai vu émerger deux colonnes très hautes : sur la première, une grande Hostie - l’Eucharistie - et sur l’autre (plus basse) une statue de la Vierge Immaculée avec un écriteau : Auxilium christianorum.
Le navire du Pape n’avait aucun moyen humain de défense. C’était une sorte de souffle qui provenait de ces deux colonnes, qui défendait le navire et réparait aussitôt tous les dégâts. La bataille se faisait toujours plus furieuse; le Pape cherche à se diriger entre les deux colonnes, au milieu d’une tempête de coups. Tandis que les armes des agresseurs sont en grande partie détruites; s’engage une lutte corps à corps. Une première fois, le pape est gravement blessé, mais ensuite il se relève; puis une seconde fois… et cette fois il meurt tandis que les ennemis exultent. Le nouveau pape, élu immédiatement après, reprend la barre et réussit à atteindre les deux colonnes, y accrochant avec deux chaînes le navire, qui est sauvé, tandis que les bateaux ennemis fuient, se détruisent réciproquement, et coulent."
Don Bosco raconte ce rêve devant 500 jeunes, expliquant le lendemain que les deux seuls moyens pour sauver l'Eglise des persécutions qui l'attendent sont Marie - Secours des Chrétiens - et l'Eucharistie. [1]
Le 5 juin 1862 Don Bosco a une vision dans laquelle il parle avec la Marquise di Barolo concernant la possibilité d'éduquer des jeunes filles. Pendant leur conversation, les garçons de l'Oratoire sont en train de jouer joyeusement, quand un énorme cheval rouge apparaît, trois ou quatre fois plus grand qu'un bâtiment, semant la panique. La Marquise s'évanouit et tombe par terre, tandis que Don Bosco essaie de fuir, mais sans succès :
"Pendant ce temps, je me disais: - Qui sait ce qu'est ce cheval! Je ne veux plus m'enfuir, je veux faire un pas en avant et le regarder de plus près, bien que tout tremblant. J'ai repris courage, je suis revenu et je me suis avancé.
Euh! Quelle horreur! Avec ces oreilles dressées, avec ce museau! Maintenant il me semblait qu'il avait tant de monde sur son dos, qu'il avait des ailes, alors je me suis exclamé : - Mais c'est un démon!
Pendant que je le contemplais, étant accompagné d'autres personnes, j'ai demandé : - Qu'est-ce que ce cheval?
On m'a répondu. - Ceci est le cheval rouge equus ruffis [rufus] de l'Apocalypse." Le lendemain, on montre à Don Bosco le texte biblique (Apoc 6, 4) qui mentionne ce cheval : "Alors sortit un autre cheval, rouge feu ; à celui qui le montait il fut donné d’enlever la paix à la terre, pour que les gens s’entretuent, et une grande épée lui fut donnée." [2]
Deux mois plus tard, à la veille de la Fête de l'Assomption, Don Bosco en songe se trouve devant un grand serpent :
"J'ai rêvé que j'étais avec tous les jeunes chez mon frère à Castelnuovo d'Asti. Pendant que tout le monde faisait la récréation, quelqu'un vient à moi [...] et m'invite à l'accompagner [...] il m'a signalé dans l'herbe un serpent de sept ou huit mètres de long et d'une taille extraordinaire. J'étais horrifié en le regardant et je voulais m'enfuir: - Non, non, m'a dit cet homme; ne fuis pas; viens ici et vois.
- Et comment, lui ai-je répondu, veux-tu que j'ose m'approcher de cette bête? Tu ne sais pas qu'il est capable de me sauter dessus et de me dévorer en un instant?
- N'aie pas peur, il ne te fera aucun mal; viens avec moi.
- Ah! Je ne suis pas si fou de me jeter dans un tel danger.
- Alors, a continué cet inconnu, arrête-toi ici! - Et puis il est allé chercher une corde et la tenant à la main, il est revenu vers moi et m'a dit:
- Prends cette corde par un bout et tiens-la fermement dans tes mains; je prendrai l'autre bout et j'irai de l'autre côté, et ainsi nous accrocherons la corde au serpent.
- Et alors ?
- Et puis nous la laisserons tomber autour de son cou.
- Ah! non pour l'amour du ciel! Eh bien, malheur à nous si nous faisons cela. Le serpent sautera de colère et nous mettra en miettes.
- Non, non; laisse-moi faire.
- La, la! Je ne veux pas prendre cette satisfaction qui peut me coûter la vie. - Et déjà je voulais m'échapper. Mais cet homme a insisté à nouveau, il m'a assuré que je n'avais rien à craindre, que le serpent ne me ferait pas de mal. Il m'a donc dit de rester et d'accepter de faire sa volonté. En attendant, il est passé de l'autre côté du monstre, a soulevé la corde et a donné un coup de fouet sur le cou du serpent. Le serpent saute, tournant la tête en arrière pour mordre celui qui l'avait frappé, mais au lieu de mordre la corde, il reste attaché par elle comme dans un nœud coulissant. Puis l'homme m'a crié: - Tiens bon, tiens bon et ne lâche pas la corde. - Et il a couru vers un poirier qui était tout près, et y a attaché le bout de la corde qu'il avait entre les mains: il a alors couru vers moi, a pris mon bout de corde et est allé l'attacher au grille d'une fenêtre de la maison. Pendant ce temps, le serpent se tortillait, se débattait avec fureur, et frappait le sol de sa tête et de ses énormes enroulements, de telle sorte qu'il déchirait sa chair, en faisant éclater les morceaux très loin [dans l'air]. Donc ça a continué jusqu'à ce qu'il n'était plus en vie; et mort qu'il était, il ne restait plus de lui que le seul squelette dépouillé.
Le serpent étant mort, ce même homme détacha la corde de l'arbre et de la fenêtre, l'a tiré vers lui-même, l'a ramassé, en a fait une sorte de boule et m'a dit: - Fais attention, hein! - Alors il a mis la corde dans une boîte qu'il a refermée, puis après quelques instants il l'a ouverte. Les jeunes s'étaient rassemblés autour de moi.
Nous avons jeté un coup d'œil à l'intérieur de la boîte et nous avons tous été étonnés. Cette corde était disposée de telle manière qu'elle formait les mots "Ave Maria" - Comment cela?, ai-je dit. Tu avais mis cette corde dans la boîte dans le désordre et maintenant elle est tellement bien ordonnée.
- Voilà, dit-il; le serpent symbolise le diable, et la corde l'Ave Maria ou plutôt le Rosaire qui est une continuation de l'Ave Maria, par lequel et lesquels tous les démons de l'enfer peuvent être battus, vaincus, détruits.
Jusqu'à maintenant, a conclu Don Bosco, c'est la première partie du rêve." [3]
Une autre prophétie célèbre datant du 5 janvier 1870 contient une partie qui fait clairement référence à la "Grande Conférence" du Concile Vatican I au moment des débats sur l'infallibilité du Pape (entouré pas ses "Assesseurs", les pères conciliaires). Par la suite, Don Bosco livra cette description d'un grand combat spirituel à Pie IX :
"La voix du Ciel est maintenant pour le Pasteur des Pasteurs. Tu es dans la Grande Conférence avec tes Assesseurs; mais l'ennemi du bien ne demeure pas un instant en repos. Il étudie et pratique tous les artifices contre toi. Il sèmera la discorde parmi tes Assesseurs, il suscitera des ennemis parmi tes enfants. Les Puissances du siècle vomiront du feu; elles voudraient que les paroles soient étouffées dans la gorge des Gardiens de ma loi. Cela ne sera pas. Ils feront mal, ils se feront mal à eux-mêmes. Quant à toi, accélère; si les difficultés ne sont pas résolues, qu'elles soient tranchées. Si l'angoisse te saisit, ne t'arrête pas, mais poursuis jusqu'à ce que soit tranché le Chef de l'Hydre de l'erreur. Ce coup fera trembler la terre et l'enfer; mais le monde sera rassuré et tous les bons exulteront. - Réunis donc autour de toi quand ce ne serait que deux Assesseurs, mais, où que tu ailles, continue et achève l'oeuvre qui t'a été confiée. - Les jours fuient rapidement, tes années progressent vers le terme fixé. Mais la Grande Reine sera toujours ton secours; comme elle le fut dans les temps écoulés, elle sera aussi toujours à l'avenir Magnum et singulare Ecclesiae praesidium." [4]
Dans le même texte, Don Bosco annonce la dévastation de la France et de l'Italie par de multiples visites du "fléau de la colère de Dieu", après lesquelles la paix reviendra et la gloire de l'Eglise brillera comme jamais :
"A la veille de l'Épiphanie de l'année en cours 1870, tous les objets matériels de la chambre ont disparu et je me suis retrouvé à considérer des choses surnaturelles. Il s'agissait de moments brefs, mais on voyait beaucoup de choses. Quoique de forme et d'apparences sensibles, elles ne peuvent cependant être communiqué aux autres qu'avec grande difficulté par des signes externes et sensibles. Vous en avez une idée à partir de ce qui suit. Voici la parole de Dieu adapté à la parole humaine.
La guerre vient du Sud, la paix vient du Nord. Les lois de la France ne reconnaissent plus le Créateur, et le Créateur se fera connaître et la visitera trois fois avec la verge de sa fureur.
Dans la première visite, il renversera son orgueil, par des défaites, par le pillage et le ravages des récoltes, des animaux et des hommes.
Dans le seconde, la grande prostituée de Babylone, celle que les bons appellent en soupirant le bordel d'Europe, sera privé de la tête en proie au désordre.
Paris...! Paris! ... au lieu de t'armer du nom du Seigneur, vous vous entourez de maisons d'immoralité. Celles-là seront détruites par toi-même: ton idole, le Panthéon, sera incinéré, de sorte qu'il s'avérera que mentita est iniquitas sibi (l’iniquité n’a que mensonge contre elle-même). Tes ennemis te mettront dans l'angoisse, la faim, la peur et dans l'abomination des nations. Mais malheur à vous si vous ne reconnaissez pas la main qui te frappe! Je veux punir l'immoralité, l'abandon, le mépris de ma loi, dit le Seigneur.
Lors de la troisième visite, tu tomberas entre des mains étrangères: tes ennemis de loin verront tes palais en flammes, tes habitations devenues un tas de ruines, baignées dans le sang de tes guerriers qui ne sont plus." [5]
La prophétie concernant les multiples crises à venir en France et la destruction de Paris ressemble beaucoup aux révélations de Mélanie Calvat et Maximin Giraud, voyants de La Salette[6] (ainsi qu'aux prophéties de la stigmatisée bretonne Marie-Julie Jahenny transmettra lors de ses extases à partir de 1873). En 1871, Don Bosco publie un livret sur les apparitions alpines de 1846, dans laquelle il note la réaction émue de Pie IX (information qu'il aurait probablement reçue du Pape lui-même ou d'un témoin oculaire) en lisant les versions du Secret rédigées pour lui par Mélanie et Maximin en 1851 [7]
Quant à l'Italie, la prophétie est d'une sévérite pareille, prédisant quatre "visites" du Seigneur à Rome :
"Ah, mais vous, l'Italie, terre de bénédictions ! Qui vous a imprégné dans la désolation ! Ne blâmez pas vos ennemis, mais plutôt vos amis. N'entends-tu pas demander à vos enfants pour le pain de la foi et de trouver que ceux qui le mettra en pièces ? Que ferai-je ? Je frapperai les bergers, Je disperserais le troupeau, jusqu'à ce que ceux qui sont assis sur le trône de la recherche de bons pâturages pour Moïse et le troupeau écoutent attentivement et soient alimentés. Sur le troupeau et sur les bergers, Ma main va peser lourd. La famine, la peste et la guerre sera telle que la mère aura à pleurer à cause du sang de leurs fils et de leurs martyrs morts dans un pays hostile. Que reste-t-il, ingrats, efféminés, de la fierté de Rome ? Vous avez atteint un point que vous ne recherchez pas plus loin. Vous n'admirez dans votre souverain que le luxe, en oubliant que vous et votre gloire sont maintenant sur le Golgotha.
Maintenant, il est vieux, fragile, sans défense et dépossédé [le Pape]. Néanmoins, bien que captif, ses paroles font trembler le monde entier.
Rome ! ... Je te rendrai visite quatre fois !
La première, J'ébranlerai tes terres et ses habitants.
La deuxième, J'apporterai massacre et extermination jusqu'à tes murailles. Tu n'ouvres pas encore les yeux?
Je viendrai une troisième fois ... et le règne de la terreur, de la peur et de la désolation commencera.
Mes sages fuient, ma loi est foulée aux pieds, Je viendrai donc une quatrième fois. Malheur à toi si ma loi reste encore un vain mot ! Ton sang et le sang de tes fils laveront les outrages que tu as faits contre la volonté divine."
Don Bosco est canonisé le 1 avril 1934. Sa fête est le 31 janvier, jour de son décès.
Notes :
[1] https://www.3blancheurs.com Dans un long message donné par la "Vierge de la Révélation" lors des apparitions à Bruno Cornacchiola à Tre Fontane en 1947, la Mère de Dieu fait référence à ces trois blancheurs: "Soyez fidèles au Trois Blancheurs (Tre Punti Bianchi) et vous trouverez le salut dans l'humilité, dans la patience, dans la vérité : l'Eucharistie, l'Immaculée - c'est-à-dire les dogmes que l'Eglise a établis à mon égard - et la Sainteté du Père, Pierre, le Pape".
[2] Voir Memorie biographiche, vol. VII, p. 217-219. [Lien perdu]
[3] Texte italien : [Lien perdu]
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Sans rentrer dans les controverses autour des différentes rédactions du "Secret" de la Salette (jamais reconnu officiellement par l'Eglise), des références au châtiment de la France sont déjà présentes dans les premiers textes transmis de la part de la Vierge par les voyants pour Pie IX en 1851. Maximin : "La France a corrompu l'univers, un jour elle sera punie". Mélanie : "Mon Fils va faire éclater sa puissance ! Paris, cette ville souillée de toutes sortes de crimes, périra infailliblement." Un autre point de ressemblance avec La Salette est un songe de St Domenico Salvio (1842-1857), élève de Don Bosco à l'Oratoire de Turin, qui lui-même eut un songe, transmis à Pie IX un an après la mort de Domenico, concernant la conversion de l’Angleterre à la religion catholique. Une vision convergente avec les mots consignés par Maximin Giraud en 1851 :
« Une grande contrée dans le nord de l’Europe, aujourd’hui protestante, se convertira : par l’appui de cette contrée tous les autres contrées du monde se convertiront ». (Michel Corteville et René Laurentin, Découverte du Secret de la Salette (Paris : Fayard, 2002), p. 47.)
[7] Apparizione della Beata Vergine sulla montagna di La Salette, con altri fatti prodigiosi raccolti di pubblici documenti (Turin : 1871). Il faudrait souligner que le texte des secrets envoyés à Pie IX en 1851 était encore inconnu à l'époque. Curieusement, Don Bosco pense que Mélanie est morte en 1870 et inclut la traduction italienne d'une lettre de sa part datée le 11 septembre 1870, adressée à la Vierge, dans laquelle Mélanie interprète la défaite de Sedan comme un châtiment divin :
"Il y a des personnes qui prient et demandent au bon Dieu le succès de nos Français. Ce n'est pas cela que le bon Dieu veut ; il veut la conversion des Français. La Très-Sainte Vierge est venue en France, la France ne s'est point convertie. Elle est plus coupable que les autres nations. Si elle ne s'humilie pas devant le bon Dieu, elle sera grandement humiliée, et Paris, ce foyer de la vanité et de l'orgueil, qui la trouvera, cette ville, si des prières ferventes et continuelles ne montent vers le coeur du bon Maître ?" (dans R.P. Huguet, Pie IX et les secrets de la Salette (Lyon : Gauthier, 1871), p. 96-97)
S'il est tentant d'identifier ces trois "visites" de la colère de Dieu prophétisées par Don Bosco avec 1870-71 (déclaration de guerre contre la Prusse par Napoléon III six mois après la prophétie, débâcle militaire, effusion de sang à Paris lors de la Commune), 1914 et 1940 ("tu tomberas entre des mains étrangères"), il est clair que certains éléments de la prophétie, tels que la destruction du Panthéon, ne se sont pas (encore) accomplis. Le sens de la phrase "la guerre vient du Sud, la paix vient du Nord" reste par ailleurs obscure.
[8] [Lien perdu]