L'Antéchrist de Vladimir Soloviev (1853-1900) - recommandé par Benoit XVI

Chronologie

Le philosophe russe Vladimir Soloviev (1853-1900), ami de Dostoïevski, a été salué par le Pape Jean-Paul II en 2003 comme un pionnier du dialogue entre le christianisme oriental et occidental. Petit-fils d'un prêtre orthodoxe russe, il quitte l'Eglise pendant son adolescence mais y retourne à l'âge de 20 ans. Il travaille ensemble avec l'évêque catholique Mgr Strossmayer pour la réconciliation entre les églises catholique et orthodoxe, étant finalement reçu dans l'église greco-catholique en 1896.

L'Antéchrist

Son ouvrage ultime, Trois Dialogues et une courte nouvelle sur l'Antéchrist, fut terminé le jour de Pâques, 1900. Dans son récit, l'Antéchrist est un pacifiste et végétarien, un philanthrope admirable qui n'est pas hostile à l'enseignement du Christ mais rejette son caractère unique et sa résurrection. Il a même un doctorat en théologie honoris causa de l'Université de Tübingen (fait noté par Joseph Ratzinger dans son Jésus de Nazareth).

Texte intégral en français: https://bibliotheque-russe-et-slave.com'Antechrist.htm

En ce temps-là, parmi ces rares croyants spiritualistes, vivait un homme remarquable. Beaucoup l’appelaient Sur-homme. Il était également loin de la jeunesse de l’intelligence et de la jeunesse du cœur. Il était encore jeune, mais, grâce à son génie, il jouissait à trente-trois ans du renom de grand penseur, de grand écrivain et de grand homme d’action. Sentant en lui-même la grande puissance de l’esprit, il avait toujours été un spiritualiste convaincu et sa claire intelligence lui avait toujours montré la vérité des notions auxquelles il faut croire : le bien, Dieu et le Messie. Il croyait en ces vérités, mais il n’aimait que soi. Il croyait en Dieu, mais au fond de son âme il se préférait involontairement à Dieu. Il croyait au Bien, mais l’Œil Éternel qui voit tout savait qu’il s’inclinerait devant la force du mal pourvu qu’elle l’achète, non qu’il fût égaré par ses sentiments, par de basses passions ou par l’attrait du pouvoir, mais parce qu’il avait un amour-propre démesuré. Cet amour-propre, d’ailleurs, n’était ni un instinct irraisonné, ni une prétention folle. En plus de son exceptionnel génie, de sa beauté et de sa noblesse, les hautes preuves qu’il avait données de sa tempérance, de son désintéressement et de sa générosité, semblaient justifier assez l’immense amour-propre de ce grand ascète et de ce grand philanthrope spiritualiste. Si on lui faisait un grief d’être si abondamment pourvu de dons divins, il voyait en ces dons la marque de l’exceptionnelle bienveillance de Dieu à son endroit, il se mettait au premier rang après Dieu et se considérait comme l’unique Fils de Dieu. En un mot, il croyait être ce que le Christ fut réellement. Mais cette conscience de sa haute dignité ne faisait pas naître en lui le sentiment d’une obligation morale à l’égard de Dieu et du monde, mais le sentiment de son droit à l’emporter sur les autres et, avant tout, sur le Christ. Dans le principe, il n’avait pas de haine pour Jésus. Il reconnaissait le Messianisme et la dignité du Christ, mais il voyait sincèrement en Lui son grand prédécesseur. L’action morale du Christ et Son absolue originalité échappaient à son intelligence obscurcie par l’amour-propre. « Le Christ, pensait-il, est venu avant moi ; je viens le second ; mais ce qui suit dans le temps, précède dans l’être. Je viens le dernier, à la fin de l’histoire, précisément parce que je suis le sauveur définitif et parfait. Le Christ fut mon annonciateur. Il eut pour mission de préparer mon apparition. » Fort de cette pensée, le grand homme du XXIe siècle va s’appliquer tout ce que dit l’Évangile de la seconde venue ; il entendra cette venue non pas comme le retour du premier Christ, mais comme le remplacement du Christ préparatoire, par le Christ définitif, par lui-même.